Un petit rien qui change tout

Soignant: L’efficacité symbolique.

Quand un soignant utilise “un petit rien qui change tout”


Cet article met en lumière une activité invisible de la culture soignante qui demande de prendre
le temps et de donner de la présence à autrui.


Cette attitude est décrite souvent «comme trois fois rien » ou comme « normale » et pourtant…
L’utilisation, d’une collation, telle que la tisane, le petit gâteau ou le morceau de sucre est une vraie ressource du quotidien. Toutes ces attentions gustatives permettent d’amorcer
la relation de soin et de confiance qui est primordiale dans toute relation d’aide thérapeutique.
Quel aide-soignant de nuit n’a pas proposé une collation pour calmer les déambulations nocturnes d’une dame âgée atteinte de troubles comportementaux?


Quelle puéricultrice n’a pas rassuré un parent inquiet pour son enfant avec un « petit gâteau » ?
Quel soignant n’a pas offert un verre d’eau quand une famille apprend le décès d’un proche ?
Quelle infirmière scolaire n’a pas proposé un thé bien chaud pour un jeune homme qui vient de rompre avec sa copine ou un morceau de sucre à un élève inquiet pour ses résultats scolaires ?

Nous verrons que malgré toute la part technique générée par les protocoles de sécurisation des patients, les besoins médicaux et l’administratif, la relation d’aide thérapeutique n’a pas disparu et que les soignants sont les premiers protecteurs de cette part d’humanité
dans les soins au travers d’une habitude, d’un savoir, qui leur sont familiers.


Mais d’abord de quoi parlons nous au juste quand on évoque la relation de soin et à quoi sert elle ?
Dans quelle mesure une collation, un verre d’eau, un petit gâteau ou encore un morceau de sucre permettent d’établir une interaction thérapeutique que l’anthropologue Claude Lévi Strauss désigne comme une «efficacité symbolique» ? Comment ces actions du quotidien marquent l’entrée dans la relation d’empathie et amorcent la relation d’aide afin de réduire l’anxiété ?
En quoi consiste la relation de soins ?


Je soulignerais d’abord que la relation de soins est difficilement quantifiable voire inidentifiable. Parfois ignorée par les d’équipes, elle est négligée lors de transmission orale et écrite car « ça fait partie du job ». Autant, pour le soignant la traçabilité de certains soins techniques est assez évidente, une prise de sang, un renouvellement de pansement, une aide à la prise de repas… Autant je le défie d’identifier le nombre de fois où il a pris le temps d’écrire et reporter les éléments constituant la relation de soins avec le patient ou sa famille dans le dossier de soin.


La notion de « Primary nurse » : le soignant primo accueillant


Pourtant, d’après Monique Formarier: “La plupart des patients (et des familles) qui viennent pour la première fois dans un service d’hospitalisation gardent longtemps en mémoire la personne qui les a accueilli. Ils sont capables, plusieurs jours après l’événement de l’identifier au sein d’une équipe. Cette situation a donné naissance à ce que les infirmières américaines appellent la « Primary Nurse »”
Terme que je traduirais par soignant primo accueillant (lire partout infirmier(e),aide-soignant (e)).


Ce soignant prend le temps d’accueillir et d’établir les prémices de la relation de soins et de confiance avec un patient en situation de « vulnérabilité ». Cette action du quotidien d’« aller vers »permet de repérer et à prévenir une difficulté avec le patient et va également contribuer à la réduction de l’anxiété de ce dernier.


Si cette part “d’aller-vers” est négligée, la relation de soins aboutira probablement à une rupture de confiance avec l’équipe dans son entièreté.


Lorsque le soignant primo accueillant manifeste sa présence en étant attentif au besoin de santé de la personne, il accède à la confiance de celle-ci et de ses proches qui l’accompagnent. Il permet ainsi par effet domino une collaboration avec l’ensemble de l’équipe. Cet accueil va donner une impulsion à la qualité de vie lors du séjour dans l’établissement et a pour effet indirect de réduire le niveau d’anxiété de tous, soignés comme soignants, car le professionnel a pris le temps d’accueillir, informer, écouter, guider.
Le concept d’« aller-vers » en santé publique et en intervention sociale.
Il désigne un mode opératoire où le professionnel fait la démarche de se rendre directement dans les lieux fréquentés par les publics en besoin de soins mais éloignés des dispositifs de santé. L’objectif est d’établir une relation de confiance avec les personnes rencontrées, puis de les informer, de les aider à exprimer une éventuelle demande de soins, d’identifier les renoncements aux soins, les besoins d’accès aux droits et aux prestations de droit commun enfin de les accompagner et les orienter vers les structures et dispositifs adaptés.
Infolettre N°72 – 7 avril 2022 L’aller-vers, une démarche de santé publique Ile-de France Ars 2022.

Le souci de l’autre, la première étape de la relation de confiance dans la culture du
soin
.


En outre, c’est dans un terrain mouvant que la relation de soin s’élabore entre le soignant et le soigné.
Cette relation, précisons le, existe dans un contexte de crise sociale et de rupture de confiance dans le
système de santé français. Voici donc un décor peu attractif de l’institution qui provoque
une forme de méfiance vis-à-vis des “blouses blanches”.

Ainsi, cet accueil du soignant ne peut être considéré « juste » comme une simple interaction avec un
professionnel. Elle implique de la part de celui-ci le souci de l’autre, le respect de ses valeurs, de son
intimité, de ses limites. En reconnaissant la vulnérabilité de la personne, le soignant s’efforce de
comprendre également l’anxiété provoquée par l’arrivée dans un établissement de santé. La sensibilité
émotionnelle du soignant appelée empathie et intelligence émotionnelle lui permet d’être en état
de vigilance et de présence envers autrui et d’informer, de guider, d’encourager et d’accompagner vers
un changement de situation. Par cette attitude, il établit la relation de confiance avec
l’équipe de soin.


Il est important de saisir que ce souci de l’autre est de l’ordre de l’éthos du soignant. Ce qui semble
naturel et également culturel. Et dans cette aptitude à se soucier de l’autre, Il pourra par exemple
utiliser les collations pour renforcer la relation de soins, établir une relation de confiance et
amorcer si nécessaire une relation d’aide thérapeutique.


L’efficacité symbolique de la tisane


L’utilisation de collations, en dehors d’un régime spécifique (allergie, diabète…), ne nécessite aucune
prescription médicale, ou avis d’expert. C’est une de ces techniques de soins que l’infirmier ou l’aide
soignant pratique en toute humilité pour établir une relation d’aide. Elle existe dans tous les secteurs
d’activités, de l’infirmerie scolaire, en passant par les services de médecine, le milieu carcéral, la
gériatrie, la pédiatrie …. Pratiquée dans des secteurs de pointe tels que la chirurgie cardiaque, les grands
brûlés, l’hémodialyse et les soins intensifs… Ceci s’instaure bien souvent comme un rituel de la relation
de confiance visant la diminution des inquiétudes passagères ou des troubles du comportement :

  • Agitation, Confusion
  • Anxiété
  • Exaltation de l’humeur/dysphorie
  • Apathie/indifférence
  • Désinhibition
  • Irritabilité/Instabilité de l’humeur
  • Trouble du sommeil…

L’efficacité symbolique est un concept introduit par Claude Lévi-Strauss dans son livre
“L’Anthropologie structurale” . Ce terme concernant initialement le travail du chaman ou du
guérisseur. Cependant aujourd’hui il est utilisé dans le champ de la psychanalyse, précisant ainsi
que le soignant va intervenir et aider à la guérison de façon indirecte sans toucher le corps.


Nous devons comprendre que l’efficacité symbolique d’un produit tel qu’une tisane, un gâteau,
un verre d’eau, est liée en premier lieu à la relation interpersonnelle entre le soigné et le
professionnel. Dans la mesure où le patient accepte l’aide relationnelle, il admet indirectement
qu’il pourrait « guérir de son anxiété » grâce à une attitude bienveillante et attentive d’un
soignant.


L’expérience de Ruth infirmière en Ehpad


L’une des problématiques médicale actuelle est la place de la polymédication chez le sénior.
Quand celui-ci arrive en résidence médicalisée, le médecin gériatre va négocier avec le patient la
réduction ou l’arrêt d’un traitement. Cependant l’acceptation peut donner au résident un
sentiment d’être infantilisé, d’être incompris surtout quand le traitement est rentré dans les
habitudes de vie depuis fort longtemps. L’information, les explications répétitives des soignants
ne suffisent pas à faire accepter cette perte de traitement pour la personne âgée. Cela a pour
conséquence immédiate de réduire la confiance envers le personnel de soin, et de provoquer
chez la personne un sentiment d’injustice, de colère ou de peur, sources d’anxiété.


Cette inquiétude peut se caractériser par des demandes incessantes auprès des infirmières pour
le retour du médicament. Une des stratégies adaptées pour réduire la demande est de réduire
le niveau d’anxiété
et d’entrer en communication en proposant un faux médicament de
substitution. Nous ne l’appellerons pas placebo, car il n’y a pas de protocole de mise en
place de ce produit. Cela peut être des sucrettes, ou des sirops fait maison sans nocivité pour la
personne.


C’est ainsi que Ruth, infirmière à l’expérience rodée, va trouver un subterfuge pour réduire
l’anxiété d’un résident en maison de retraite. Ce dernier n’entend pas les explications médicales
de l’arrêt d’un traitement pour la toux. L’utilisation de celui-ci n’étant pas justifié et dangereuse à
long terme, il est arrêté par le médecin gériatre.


Le résident réclame jour après jour ce médicament. Devant cette manifestation anxieuse et
l’impossibilité de créer un espace pour la relation d’aide, l’infirmière décide de faire un sirop
maison avec un peu de jus de citron, du gingembre et du thym. Elle lui apporte la décoction dans
un flacon pharmaceutique ou elle appose une étiquette avec de fausses informations, pour
donner l’illusion d’un « vrai sirop ». Par cette action, qui pourrait être considérée comme
une sorte de tromperie, de non-respect de l’autonomie de la personne âgée, Ruth est arrivée
à rétablir la relation de confiance, et enfin négocier l’arrêt du traitement petit à petit
.

Ce subterfuge place la reconnaissance de la personne dans sa globalité et pas seulement dans la reconnaissance de son anxiété.

Elle a pris en compte l’habitude de vie de la personne et le sentiment de perte de contrôle de celle-ci sur sa santé et à permis la réassurance du résident.
Ce n’est pas seulement ce que le patient a bu qui est intéressant, c’est la restauration de la relation de soins avec l’infirmière. Une fois apaisée, la proximité du soignant-soigné est rétablie.


L’infirmière a agi sur la qualité de vie de la personne.
Cette situation vécue par l’infirmière ouvre une réflexion éthique sur la qualité de vie de la personne en résidence médicalisée.
Devons-nous obligatoirement avoir une position déontologique et figée ?
Ou alors pouvons nous nous accorder des écarts qui permettent de maintenir la relation de soins ?


En conclusion :
Explorer la culture de la collation au même titre que le toucher relationnel.
Une réflexion éthique d’équipe sur l’utilisation des collations pourrait permettre de valoriser cette attention du soignant pour construire la relation thérapeutique.
En considérant qu’elle nécessite de prendre du temps, et reconnaître que cela participe à la sécurité émotionnelle du patient, cela permettrait d’améliorer la pratique soignante et d’initier une réflexion sur les comportements individuels et collectifs. Sans chercher à jouer avec un jeu de mots, il s’agit de cultiver le savoir soignant sur ce que les professionnels considèrent comme des petits riens qui font beaucoup.

L’anxiété et ses symptômes


Le terme anxiété est couramment utilisé pour décrire une personne qui est demandeuse d’attention et de présence soignante ; ce mot vient du latin anxietas
« disposition naturelle à l’inquiétude, ou encore une vive inquiétude ». Au sens médical il est décrit dès le XIe siècle comme une « oppression, douleur physique »
(XIes. Triumphus Remacli, 2, 16 dsMittellat. W. s.v., 730, 40).


Cette anxiété peut-être décrite comme des troubles anxieux plus ou moins importants et plus ou moins invalidants. Nous notons ainsi que la manifestation est psychologique, physique et qu’elle peut être accompagnée de douleur.
La situation d’anxiété demande donc au professionnel de prendre en compte son anxiété, et de repérer ses manifestations.
Cependant les symptômes plus ou moins visibles se combinent à des facteurs personnels, tels que l’état de santé, la façon de penser et d’agir en situation etc…
C’est-à-dire la part subjectivité de chacun.
En fonction de son expérience, de son éducation, sa culture, les situations seront perçues comme anxiogènes.
Certaines personnes âgées, par exemple, ont de la réticence à prendre une douche, c’est une source d’inquiétude profonde qui peut provenir de blocages émotionnels et les conduit ainsi à refuser catégoriquement de se laver.


Les symptômes les plus courant de l’état anxieux:

  • Une demande d’information constante
  • Une difficulté à exprimer ses besoins et son anxiété
  • Un mutisme, ou de la fuite ou un refus de soins
  • Un sentiment diffus d’anxiété
  • Un incompréhension des informations
  • Fatigue, trouble du sommeil
  • Augmentation de la parole et de l’interaction avec les soignants
  • Tachycardie, tachypnée, sueur…
  • Vertige, étourdissement,
  • Maux de tête, douleurs abdominale
  • Troubles digestifs
  • Agressifs verbaux pouvant aller jusqu’au passage à l’acte physique autoou hétéro orienté.
  • Refus de soins

Bibliographie
Monique Formarier : La relation de soin, concepts et finalités dans Recherche en soins infirmiers
2007/2 (N° 89), pages 33 à 42
Pierre Tap, Rolland Roudès Qualité de vie, souffrances et identité(s) dans Le Journal des psychologues
2008/7 (n° 260), pages 41 à 47
Frédéric Gros Le soin au coeur de l’éthique et l’éthique du soin dans Recherche en soins infirmiers
2007/2 (N° 89), pages 15 à 20
Christian Saout La crise de confiance dans le système de santé dans LesTribunes de la santé 2009/1 (n° 22) , pages 119 à 132
Henri- Pierre Bass L’empathie dans Le Journal des psychologues 2011/3 (n°286), page 14
Daniel Goleman, Intelligence émotionnelle à la nuit de l’entreprise positive
https://youtu.be/1R-yOFvLnbk?feature=shared